Dellgerenn de Jörmungandr

Mon véritable prénom, c'est Ahnya. C'est joli, ça ressemble à Alanya... C'est vrai, pour un prénom de fille, Dellgerenn, c'est assez étrange. En fait, c'est un hommage... Un hommage à un dragon, mon tout premier, celui avec lequel j'ai grandi, et j'ai joué toute mon enfance. Mais ce dragon a mystérieusement disparu en même temps que l'Île Primordiale. Et depuis, je suis seule. Vraiment seule.

I. Avant

« Et le gigantesque serpent – ou dragon, selon les versions – ouvrit si largement sa gueule que lorsque ses crocs gigantesques cognèrent la roche au fond de l'océan, sa queue se coinça entre eux. Mais le choc avait été si brutal que, même après maints et maints effort vains, le serpent de Midgard, ne pu les retirer du sol dur et sec, car le tremblement de terre provoqué par la collision avait formé des monts à la place des mers, et l'eau s'était retirée si vite qu'elle avait créé d'immenses craquelures sur la terre. Ainsi se termine l'histoire du terrible Jörmungandr...
– Lis-la encore Maman, s'il-te-plaît !
– Mais c'est la deuxième fois que je te lis cette histoire aujourd'hui ! Non, ma chérie. Il est déjà tard. Je t'en lirais une autre demain soir... bonne nuit !
– Bonne nuit... »

J'avais presque 295 ans (8 ans, en humain), et depuis toujours, ma mère me racontait la même histoire. Et moi, je la réclamait toujours. Je n'étais pas le genre de fillette à jouer à la poupée ou à m'imaginer en robe de princesse dans mon château en train de me pavaner bêtement devant ma myriade de serviteurs... J’étais plutôt dans la forêt à grimper aux arbres, à construire des cabanes, à fabriquer des lances-pierres pour chasser de petits animaux avec mes amis ou encore à crapahuter dans les roches. Mais ce que je préférais c'était escalader le toit de notre maison, qui ma fois ressemblait plus à un petit château de deux hauts étages, et rester assise sur la plus hautes des cheminées pendant de longs moments à regardes les nuages, en respirant l'air frais, et en s’exclamant quand parfois l'ombre d'un dragon me cachait la beauté du ciel...
Mais les dragons aussi était beaux à voir. C'était comme un nuage coloré, tantôt rouge, tantôt vert, tantôt arc-en-ciel, et parfois, une des pierres qu'ils tenaient dans leur gueule, ou entre leurs pattes chutait, irrésistiblement attiré vers le sol. C'était nos dragons. Nous en avions seulement quelques centaines, juste de quoi passer du temps, et subvenir à nos besoins.
Moi aussi, j'avais quelques dragons, à moi. J'en avais exactement treize : Ilyna, Tilomel, Ykendas, Feldross, Bérynil, Dellgerenn, Deldianne, Drachlanne, Zéïnir, Elkemoss, Silphiys, Naïde et Khyal.
Chacun avait son caractère bien à lui, et ils étaient tous d'une couleur différente. Il y en avaient des roux, des verts, des bruns, des pâles, mais aussi de couleurs plus originales, comme mauve, orange, bleu ciel, multicolores ! Sauf Khyal, qui était noir. Ils étaient par paires de deux, complémentaires par le caractère et la couleur, sauf Khyal, qui était plus solitaire, plus agressif, plus sauvage... Chaque paire rappelait un élément, respectivement le souffle, les tempêtes, le soleil, l’incandescence, la foudre, les nuages et pour Khyal, la glace. Je les aimais tous, bien évidemment, mais j'adorais plus particulièrement les trois aînés d'entre eux : Tilomel, par sa grande gentillesse, Khyal, malgré sont fâcheux caractère, et Dellgerenn, le plus autoritaire et intelligent de tous.

« Ahnya ! Ahnya, ma petite, où es-tu encore allée ?
- Je suis sur le toit, Maman.
- Nous mangeons bientôt ! Prends bien garde à ne pas tomber en descendant...
- Mais oui, tu me connais, quand même, tu sais bien que je fais ça depuis que je suis toute petite ! »

Je venais tout juste d'avoir 400 ans. C'est un âge remarquable pour une elfe noire. Cela signifie la fin de l'enfance, une sorte d'"âge de raison", de début de la préadolescence. Pour cet anniversaire, on avait organisé une grande fête. De lointains parents venus d'autres îles étaient venus. J'avais reçu de nombreux présents, dont un très beau poignard orné, de fabrication elfique, avec une magnifique émeraude scintillante en son centre, dans la gueule d'un dragon noir charbon. La pierre précieuse, disait-on, avait des vertus magiques selon les légendes. Elle permettrait de voir la vie à travers la matière, ou de traverser les mur, ou encore de se fondre dans son environnement, ou bien de parcourir une certaine distance à très grande vitesse, les versions différaient, selon les peuples dont sont issus ces mythes. Mais moi, je n'y croyais pas vraiment, pour moi, c'étaient des contes pour enfants racontés par les anciens au coin du feu... Elle avait été vraisemblablement extraite d'une mine naine, pour symboliser la paix retrouvée entre les deux peuples.

A suivre !